Viols, grossesses non désirées, abandons..., le drame silencieux des femmes aveugles. « Visiteurs de minuit», les mis en cause ont aussi la réputation de s’en aller, après des ébats parfois non protégés, au petit matin, sans se soucier du reste. Pour la partenaire d’occasion, bienvenue la galère...
Viols, grossesses non désirées, abandons..., le drame silencieux des femmes aveugles
Sur le flanc du mont Mbankolo, un des plus hauts sommets de Yaoundé à un jet de pierre en face du palais présidentiel, Marguerite Zobo, 34 ans, et ses deux enfants vivent, entassés dans une minuscule chambre contenant une dizaine d’occupants au total, un drame ignoré qui enferme dans le silence bien des femmes aveugles au Cameroun, selon les témoignages.
Viols, grossesses non désirées, abandons, rejet : l’univers déjà si fragile des femmes non voyantes du Cameroun atteint son comble avec un lot d’autres souffrances que leur infligent, profitant de leur vulnérabilité, des hommes sans foi ni loi et au-delà de tout soupçon pour certains d’entre eux, adeptes de pratiques occultes.
Née d’une mère également aveugle, Marguerite Zobo, 34 ans, se retrouve à son tour abandonnée avec la charge de sa fille Jeanne Chantal, 10 ans et élève au cours moyen 1ère année (CM I), et son fils Emmanuel, sans acte de naissance à 3 ans. Les deux enfants sont de pères différents, un valide et un handicapé moteur d’un pied.
"Je souffre. Si mes sœurs n’vaient pas été là, il y a longtemps que je serais rentrée au village. Ce sont elles qui font tout : la nourriture,... Je fais des mois sans avoir 5 francs. Si j’ai 5 francs, c’est qu’une personne qui a eu pitié de moi, quand je marche en route", a confié la jeune femme à Xinhua qui est allée à sa rencontre.
Après deux ans passés chez un oncle, Marguerite est hébergée, en compagnie de sa mère et deux sœurs et leurs enfants dont un nouveau-né, par l’aînée de cette famille camerounaise de condition modeste.
Sans bouée de sauvetage, elle a encouragé sa fille à casser les pierres depuis un an dans une carrière proche du quartier, pour pouvoir gagner un peu d’argent.
"La brouette, c’est 500 francs (1 USD). Par semaine, elle peut même casser deux. Elle a quelle force pour casser les pierres ? Elle se débrouille. Elle fait ça parce que sa maman ne voit pas. Si j’avais les moyens, est-ce que j’enverrais un enfant de 10 ans casser les pierres pour vendre ?", s’interroge la non voyante.
Plus de la moitié des femmes aveugles victimes
Parmi ses 20 millions d’habitants, le Cameroun est composé de trois millions de personnes handicapées, d’après les statistiques officielles. Pour les handicapés visuels, aucun chiffre fiable ne permet de connaître véritablement leur nombre, mais les estimations l’évaluent entre 500.000 et 800.000 âmes.
Responsable de la mouvance jeune de l’Association nationale des aveugles du Cameroun (ANAC), Daline Tchaptchet épouse Assiene, du nom du directeur exécutif de l’organisation, accuse l’indifférence et le rejet de la société à l’égard de cette catégorie sociale, en particulier les femmes.
"Beaucoup de gens croient que la cécité est contagieuse. Certes, les mentalités ont changé, mais les préjugés persistent et empêchent certains hommes d’épouser des femmes non voyantes. On a peur du ’qu’en dira-t-on ?’. Beaucoup de femmes non voyantes sont victimes d’injustices. Elles sont généralement abusées par des hommes valides qui, dans la plupart des cas, cherchent simplement à expérimenter si elles sont aussi bonnes au lit", dit-elle.
"Visiteurs de minuit", les mis en cause ont aussi la réputation de s’en aller, après des ébats parfois non protégés, au petit matin, sans se soucier du reste. Pour la partenaire d’occasion, bienvenue la galère. "Ça se passe le plus souvent très mal. Enceintes et abandonnées par leurs propres familles, certaines se retrouvent à vivoter. Faute de moyens, elles accouchent, grâce à une aide de la caisse de secours de l’association, sans connaître le nom du père de leur enfant", fait savoir Daline.
Selon elle, ce phénomène touche plus de la moitié des femmes aveugles, analphabètes pour une grande majorité, et mérite l’attention de l’administration. Pour David Youdieu, kinésithérapeute non voyant, la réalité est plus grave, se rapportant à huit femmes sur dix, délaissées y compris par leurs camarades non-voyants. Pour essayer de surmonter leur souffrance, beaucoup se réfugient derrière leurs croyances religieuses.
"Je fais avec chaque jour, de la même manière que j’ai accepté mon handicap. Je prie Dieu pour qu’il m’accorde la grâce et pour qu’il grandisse dans de bonnes conditions", invoque Georgette Yamo au sujet de son fils Jules Duprince, 9 ans, élève au cours élémentaire deuxième année (CE II), fruit d’une relation avortée avec un compagnon aussi aveugle.
"Nous étions ensemble et sa famille a décidé qu’il prenne une femme valide. C’est ça qui a causé notre séparation. On a fait six mois de vie commune", révèle la jeune femme de 32 ans, aveugle depuis l’âge de 8 ans. Recueillie par son frère aîné Noé, elle se débrouille en vendant du miel acheté à Ngaoundal, dans le Nord, et veille elle-même à l’encadrement scolaire de son fils.
Confinées à la résignation face aux abus
Présidente du Comité des femmes aveugles de l’ANAC, Odette Juimo a réussi à élever ses deux fils Christian Raoul et Franck Félix, 25 et 23 ans, et à financer leurs études grâce à son emploi d’opératrice téléphonique au sein de l’entreprise gouvernementale des télécommunications, Cameroon Telecommunciations (Camtel).
Elle décrit une situation pathétique des femmes aveugles où "on les viole, dans les taxis et mêmes dans leurs domiciles. Il y en a d’autres qui se prostituent parce qu’elles veulent avoir de quoi manger et c’est comme ça qu’elles attrapent des maladies".
Juimo rapporte le cas d’Elizabeth qui, violée sous son propre toit à Bamenda (Nord-Ouest) par un inconnu qu’elle avait cru aider en lui offrant un abri pour fuir la pluie, s’est retrouvée non seulement avec une grossesse mais aussi infectée par le VIH.
Une campagne de dépistage volontaire, organisée entre 2008 et 2009 dans les régions du Centre et de l’Ouest par l’ANAC, en marge d’un projet de formation de pères éducateurs et de relais communautaires aveugles financé par l’Ong Care-Cameroun, avait détecté 10 cas de séroprévalence de VIH/sida dont 6 femmes sur un total de 200 personnes dépistées, révèle le directeur exécutif de l’association, Léopold Assiene.
Président la Ligue de défense des droits des personnes en situation de handicap (LICADDPH), Rodolphe Nzalé, lui-même aveugle titulaire d’un DEA en droit des affaires récemment recruté au ministère de l’Agriculture et du Développement rural dans le cadre d’un concours spécial de 25.000 jeunes diplômés à la fonction publique, estime que la discrimination et la stigmatisation confinent à la résignation les femmes aveugles victimes d’abus.
"Ces cas ne représentent qu’une population assez marginale. Beaucoup encore restent dans la torpeur, s’apitoient sur leur sort. Elles ne savent pas qu’elles ont des droits à faire valoir, des droits reconnus à toute personne humaine", relève le juriste.
Pour Assiene et Juimo, la solution à ce problème préoccupant et ignoré reste l’encadrement, par la formation professionnelle et le soutien financier en vue de leur autonomisation, des femmes aveugles, oubliées des initiatives de lutte contre la pauvreté et de réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) où pourtant les femmes valides apparaissent plutôt à l’honneur.
Sur le flanc du mont Mbankolo, un des plus hauts sommets de Yaoundé à un jet de pierre en face du palais présidentiel, Marguerite Zobo, 34 ans, et ses deux enfants vivent, entassés dans une minuscule chambre contenant une dizaine d’occupants au total, un drame ignoré qui enferme dans le silence bien des femmes aveugles au Cameroun, selon les témoignages.
Viols, grossesses non désirées, abandons, rejet : l’univers déjà si fragile des femmes non voyantes du Cameroun atteint son comble avec un lot d’autres souffrances que leur infligent, profitant de leur vulnérabilité, des hommes sans foi ni loi et au-delà de tout soupçon pour certains d’entre eux, adeptes de pratiques occultes.
Née d’une mère également aveugle, Marguerite Zobo, 34 ans, se retrouve à son tour abandonnée avec la charge de sa fille Jeanne Chantal, 10 ans et élève au cours moyen 1ère année (CM I), et son fils Emmanuel, sans acte de naissance à 3 ans. Les deux enfants sont de pères différents, un valide et un handicapé moteur d’un pied.
"Je souffre. Si mes sœurs n’vaient pas été là, il y a longtemps que je serais rentrée au village. Ce sont elles qui font tout : la nourriture,... Je fais des mois sans avoir 5 francs. Si j’ai 5 francs, c’est qu’une personne qui a eu pitié de moi, quand je marche en route", a confié la jeune femme à Xinhua qui est allée à sa rencontre.
Après deux ans passés chez un oncle, Marguerite est hébergée, en compagnie de sa mère et deux sœurs et leurs enfants dont un nouveau-né, par l’aînée de cette famille camerounaise de condition modeste.
Sans bouée de sauvetage, elle a encouragé sa fille à casser les pierres depuis un an dans une carrière proche du quartier, pour pouvoir gagner un peu d’argent.
"La brouette, c’est 500 francs (1 USD). Par semaine, elle peut même casser deux. Elle a quelle force pour casser les pierres ? Elle se débrouille. Elle fait ça parce que sa maman ne voit pas. Si j’avais les moyens, est-ce que j’enverrais un enfant de 10 ans casser les pierres pour vendre ?", s’interroge la non voyante.
Plus de la moitié des femmes aveugles victimes
Parmi ses 20 millions d’habitants, le Cameroun est composé de trois millions de personnes handicapées, d’après les statistiques officielles. Pour les handicapés visuels, aucun chiffre fiable ne permet de connaître véritablement leur nombre, mais les estimations l’évaluent entre 500.000 et 800.000 âmes.
Responsable de la mouvance jeune de l’Association nationale des aveugles du Cameroun (ANAC), Daline Tchaptchet épouse Assiene, du nom du directeur exécutif de l’organisation, accuse l’indifférence et le rejet de la société à l’égard de cette catégorie sociale, en particulier les femmes.
"Beaucoup de gens croient que la cécité est contagieuse. Certes, les mentalités ont changé, mais les préjugés persistent et empêchent certains hommes d’épouser des femmes non voyantes. On a peur du ’qu’en dira-t-on ?’. Beaucoup de femmes non voyantes sont victimes d’injustices. Elles sont généralement abusées par des hommes valides qui, dans la plupart des cas, cherchent simplement à expérimenter si elles sont aussi bonnes au lit", dit-elle.
"Visiteurs de minuit", les mis en cause ont aussi la réputation de s’en aller, après des ébats parfois non protégés, au petit matin, sans se soucier du reste. Pour la partenaire d’occasion, bienvenue la galère. "Ça se passe le plus souvent très mal. Enceintes et abandonnées par leurs propres familles, certaines se retrouvent à vivoter. Faute de moyens, elles accouchent, grâce à une aide de la caisse de secours de l’association, sans connaître le nom du père de leur enfant", fait savoir Daline.
Selon elle, ce phénomène touche plus de la moitié des femmes aveugles, analphabètes pour une grande majorité, et mérite l’attention de l’administration. Pour David Youdieu, kinésithérapeute non voyant, la réalité est plus grave, se rapportant à huit femmes sur dix, délaissées y compris par leurs camarades non-voyants. Pour essayer de surmonter leur souffrance, beaucoup se réfugient derrière leurs croyances religieuses.
"Je fais avec chaque jour, de la même manière que j’ai accepté mon handicap. Je prie Dieu pour qu’il m’accorde la grâce et pour qu’il grandisse dans de bonnes conditions", invoque Georgette Yamo au sujet de son fils Jules Duprince, 9 ans, élève au cours élémentaire deuxième année (CE II), fruit d’une relation avortée avec un compagnon aussi aveugle.
"Nous étions ensemble et sa famille a décidé qu’il prenne une femme valide. C’est ça qui a causé notre séparation. On a fait six mois de vie commune", révèle la jeune femme de 32 ans, aveugle depuis l’âge de 8 ans. Recueillie par son frère aîné Noé, elle se débrouille en vendant du miel acheté à Ngaoundal, dans le Nord, et veille elle-même à l’encadrement scolaire de son fils.
Confinées à la résignation face aux abus
Présidente du Comité des femmes aveugles de l’ANAC, Odette Juimo a réussi à élever ses deux fils Christian Raoul et Franck Félix, 25 et 23 ans, et à financer leurs études grâce à son emploi d’opératrice téléphonique au sein de l’entreprise gouvernementale des télécommunications, Cameroon Telecommunciations (Camtel).
Elle décrit une situation pathétique des femmes aveugles où "on les viole, dans les taxis et mêmes dans leurs domiciles. Il y en a d’autres qui se prostituent parce qu’elles veulent avoir de quoi manger et c’est comme ça qu’elles attrapent des maladies".
Juimo rapporte le cas d’Elizabeth qui, violée sous son propre toit à Bamenda (Nord-Ouest) par un inconnu qu’elle avait cru aider en lui offrant un abri pour fuir la pluie, s’est retrouvée non seulement avec une grossesse mais aussi infectée par le VIH.
Une campagne de dépistage volontaire, organisée entre 2008 et 2009 dans les régions du Centre et de l’Ouest par l’ANAC, en marge d’un projet de formation de pères éducateurs et de relais communautaires aveugles financé par l’Ong Care-Cameroun, avait détecté 10 cas de séroprévalence de VIH/sida dont 6 femmes sur un total de 200 personnes dépistées, révèle le directeur exécutif de l’association, Léopold Assiene.
Président la Ligue de défense des droits des personnes en situation de handicap (LICADDPH), Rodolphe Nzalé, lui-même aveugle titulaire d’un DEA en droit des affaires récemment recruté au ministère de l’Agriculture et du Développement rural dans le cadre d’un concours spécial de 25.000 jeunes diplômés à la fonction publique, estime que la discrimination et la stigmatisation confinent à la résignation les femmes aveugles victimes d’abus.
"Ces cas ne représentent qu’une population assez marginale. Beaucoup encore restent dans la torpeur, s’apitoient sur leur sort. Elles ne savent pas qu’elles ont des droits à faire valoir, des droits reconnus à toute personne humaine", relève le juriste.
Pour Assiene et Juimo, la solution à ce problème préoccupant et ignoré reste l’encadrement, par la formation professionnelle et le soutien financier en vue de leur autonomisation, des femmes aveugles, oubliées des initiatives de lutte contre la pauvreté et de réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) où pourtant les femmes valides apparaissent plutôt à l’honneur.
©Xinhua